Terre des festivals

Terre des festivals est un canular artistique conçu par Marc-Antoine K. Phaneuf. Des affiches, disséminées dans divers lieux publics de Laval, invitaient les passants à participer à des activités improbables mais crédibles, dans le cadre d’un festival inventé : le Festilaval. L’illusion, nourrie par un site web « officiel » et par la vraisemblance des annonces, se dévoilait à qui prenait le temps d’y regarder de plus près.

Où ?

Le dépanneur comme babillard de l’imaginaire

Carte de Laval

Lieu indéfini

Les fragments visuels et textuels de Terre des festivals occupaient différents lieux :

des babillards, vitrines et commerces de quartier,
à travers plusieurs quartiers de Laval,
ainsi qu’un site web fictif présentant le programme complet du Festilaval.

Quartiers : Plusieurs quartiers non-identifiés à Laval

Phaneuf, photo par Alexis Bellavance

Voir la définition complète dans le lexiqueDisséminées dans le quotidien des citoyens et citoyennes, les affiches de Terre des festivals apparaissaient sur les babillards et dans les vitrines de commerces de quartier : épiceries, dépanneurs, pharmacies, garages, boulangeries, aréna, nettoyeurs… Placées au milieu d’annonces réelles (cours, spectacles, petites annonces), elles se fondaient dans le décor et semblaient crédibles à première vue. C’est dans cette Voir la définition complète dans le lexiqueinfiltration discrète que l’œuvre prenait tout son sens: les affiches fonctionnaient comme des fragments visuels disséminés dans la ville, autant d’indices d’une fiction qui se propageait.

page d’accueil, festilaval.tumblr.com

L’expérience se prolongeait en ligne avec le site officiel du Festilaval, où chaque événement fictif était présenté avec un texte descriptif détaillé, comme si le programme devait réellement avoir lieu. Ce double ancrage — dans les espaces physiques d’affichage et dans l’univers numérique — renforçait l’illusion d’un festival existant.

1 of 1Selon vous, est-ce qu’internet peut être considéré comme un « lieu » de l’œuvre au même titre que la rue?

Qui ?

Marc-Antoine K. Phaneuf

Image de nouvelle île

Artiste et auteur, Marc-Antoine K. Phaneuf puise son inspiration dans la culture populaire, plus précisément celle de l’Amérique du nord. Il s’intéresse aux objets du quotidien et à ce que ceux-ci disent de nous et de nos communautés. Ses œuvres, ludiques, appellent souvent à l’autodérision et amènent à voir d’un œil différent ce qui nous entoure.

Fort du ready-made et de la citation, je souhaite poétiser des réalités banales, inventer des histoires et des imaginaires à partir d’objets anodins et usuels, kitsch ou risibles, et reflétant la culture populaire nord-américaine, ses mythes et ses lubies.

Marc-Antoine K. Phaneuf

Comment ?

Fêtes impossibles, fêtes crédibles

makpvoisinageweb
makptondeuseweb
makpgadoueweb
makpnapkinweb

La dissémination de quatre affiches dans la ville met en scène le prétendu Festilaval. Chacune annonce une activité et renvoie vers un site internet pour en savoir plus. Elles pastichent des pratiques populaires en Voir la définition complète dans le lexiquedétournant des codes familiers vers l’absurde. La «Journée lavalloise de la gadoue» inverse la logique des festivals d’hiver, qui célèbrent la neige comme ressource identitaire, en rendant hommage à sa version sale et mouillée — moins noble, mais tout aussi collective. Le «Salon de la serviette de table de fantaisie» évoque les expositions d’artisanat des Cercles de fermières, emblématiques de la culture québécoise, et met en valeur un objet domestique dérisoire en le hissant au rang de curiosité. Le «Mondial de la tondeuse modifiée» détourne à la fois l’obsession banlieusarde pour le gazon impeccable et l’imaginaire compétitif des sports moteurs, conférant à un outil banal une ampleur démesurée. Enfin, «La semaine du bon voisinage, édition 2014, est annulée» rappelle la Fête des voisins, mais souligne en même temps l’ironie d’institutionnaliser la convivialité tout en la déclarant fragile, voire impossible.

Festilaval iphone
Festilaval iphone
Phaneuf, photo par Alexis Bellavance
1 of 5Laquelle de ces affiches vous paraît la plus crédible ?
2 of 5Laquelle vous semble complètement invraisemblable ?
3 of 5Est-ce que vous vous rappelez avoir vu des publicités locales bricolées qui vous ont fait sourire ?
4 of 5Si vous deviez inventer un événement « impossible mais crédible », à quoi ressemblerait-il ?
5 of 5Avez-vous déjà souri devant un slogan de ville ou une publicité municipale qui vous semblait exagérée ou irréaliste?

Ces festivités ont été créées à la suite des recommandations du comité-conseil, constitué de citoyens issus de chacun des quartiers de la ville (sauf Saint-François).

Site officiel de Festilaval

Lire sans lire

Terre des festivals s’insère dans le quotidien avec des affiches qui détournent nos habitudes de lecture dans l’espace public. L’artiste joue de notre fascination pour les mots qui tapissent la ville : on peut les lire sans les comprendre, ou les voir sans les lire. Dans cette ambiguïté, l’affiche agit comme un signe Voir la définition complète dans le lexiqueinfiltré qui souligne le réel plus qu’il ne le décrit.

Le site web de Festilaval, avec ses textes détaillant le programme d’événements impossibles mais crédibles, prolonge ce jeu. Ces fragments visuels et textuels font partie intégrante de l’œuvre : ils s’additionnent comme une liste, une litanie de micro-fictions qui invitent le lecteur-spectateur à observer autrement ce qui l’entoure.

Phaneuf, photo par Alexis Bellavance
Festilaval iphone
Festilaval iphone

Le processus exagère le phénomène suivant lequel la fabrication de l’image fait le produit, une stratégie de plus en plus poussée dans la mise en marché des expositions dans les grands musées.

Marie-Ève Charron, Le Devoir
1 of 4Vous arrive-t-il de lire machinalement des mots affichés dans l’espace public, sans même vous en rendre compte?
2 of 4Comment une œuvre d’art peut-elle vous amener à voir autrement la publicité et les messages qui saturent l’espace public ?
3 of 4Qu’est-ce qui fait, selon vous, qu’une affiche ressemble à une image publicitaire plutôt qu’à une œuvre d’art ?
4 of 4Comment distinguer ce qui relève du marketing et ce qui relève de l’art, quand les deux empruntent les mêmes codes ?

Affiches bricolées, sourires assurés

Les affiches empruntent une esthétique kitsch, marquée par l’excès et l’accumulation : polices disparates, couleurs criardes, effets graphiques bricolés. Elles rappellent à la fois les débuts d’internet et les publicités locales conçues à la maison, souvent avec Word Art ou Paint. Ce look amateur contraste avec le graphisme professionnel attendu d’un grand festival, mais il renforce justement la vraisemblance : dans les espaces publics saturés d’annonces, la frontière entre publicité réelle et parodie devient floue. En exploitant ces codes, l’artiste joue avec notre familiarité affectueuse pour ces images « ratées » ou quétaines (pour reprendre un mot bien québécois). Elles nous font sourire tout en se fondant dans la masse des publicités du quotidien.

Festilaval iphone
1 of 4Qu’est-ce qui vous attire ou vous rebute dans ces affiches au look un peu quétaine?
2 of 4Selon vous, qu’est-ce qui fait la différence entre une affiche simplement mal faite et une affiche volontairement kitsch?
3 of 4Dans ces photos de babillards et vitrines, qu’est-ce qui attire d’abord votre attention : les affiches de l’artiste ou la variété des autres messages ? Pourquoi ?
4 of 4Avez-vous déjà trouvé beau un babillard ou une vitrine remplis d’annonces disparates ? Qu’est-ce qui faisait leur charme ?

L’idée, c’est vraiment de semer des graines et de laisser croire à ces trucs totalement fous qui vont se perdre dans une masse d’informations réelles.

Marc-Antoine K. Phaneuf

La critique derrière le sourire

Terre des festivals ne fait pas qu’amuser : elle porte aussi une charge satirique. En imitant les codes de la publicité amatrice et du discours institutionnel, l’œuvre pointe la banalité des messages qui saturent nos espaces publics. Le sérieux affiché — comité-conseil, organisme à but non lucratif, titres d’événements improbables — souligne l’absurdité de bureaucratiser jusqu’à la convivialité. Dans une ville comme Laval, souvent associée à une succession de slogans et de campagnes cherchant à séduire ses citoyens et à projeter une image attrayante, la multiplication d’affiches fictives grossit le trait : elle rend visible l’obsession de se promouvoir par des événements rassembleurs. Derrière l’humour, la critique vise la fragilité du lien social, la vacuité de certaines célébrations collectives, et même les travers du milieu culturel lui-même — caricaturés par la figure du président-directeur général assisté de « stagiaires français non rémunérés et de bénévoles anxieux et volages », tel qu’on peut le lire sur le site web Festilaval.

Festilaval cam
Phaneuf, photo par Alexis Bellavance
1 of 2Selon vous, qu’est-ce qui rend une affiche ou un slogan crédible, et qu’est-ce qui vous fait douter?
2 of 2Que pensez-vous de l’idée de célébrer officiellement des choses ordinaires comme le gazon ou le bon voisinage?
festilaval.tumblr.com

Tout objet trouvé sur la voie publique devra être détruit, même s’il semble appartenir à quelqu’un de votre voisinage. L’affichage d’annonces relatives à la recherche d’un animal égaré ou trouvé est strictement défendu.

Site officiel de Festilaval

Pourquoi ?

Rire, douter, imaginer

Terre des festivals s’insère dans le quotidien avec des codes si proches de la publicité amatrice qu’on en vient à douter, un instant, de ce qui est vrai ou inventé. L’œuvre joue avec la crédibilité des affiches, la banalité des slogans et la surenchère d’annonces qui saturent nos espaces publics. Elle nous fait sourire de nos travers collectifs, mais elle nous invite aussi à réfléchir au lien que nous entretenons avec la publicité, omniprésente dans nos vies.

Au-delà de la critique, l’œuvre valorise la part de jeu et d’imaginaire que l’art peut semer dans nos quotidiens. Elle nous rappelle que même les histoires inventées peuvent circuler, se transmettre, et devenir réelles dans l’esprit des gens. Plus fondamentalement, elle replace le plaisir, le doute et l’invention au cœur de l’expérience artistique.

Festilaval iphone

Si ça se trouve, quelqu’un dira un jour à son beau-frère : “ Eille, j’ai vu une affiche du Festival de la tondeuse modifiée y a deux ans ; faudrait voir c’est où c’t’année ”, et le mondial deviendra réel dans son imaginaire. C’est ce que je vise.

Marc-Antoine K. Phaneuf
Image de nouvelle île