Sur un chantier de condos abandonné, L(’)aval d’un futur transforme un terrain laissé en suspens en laboratoire artistique. Trois artistes inventent des formes et des expériences qui évoquent à la fois une cité en ruine et un futur possible. Leur projet interroge notre manière d’habiter la ville et d’envisager son avenir.
Lieux multiples
Les artistes de L(’)aval d’un futur ont investi plusieurs lieux :
— un chantier de condominiums interrompu,
— le terrain voisin destiné à devenir un parc, mais resté inachevé,
— l’avenue Léo-Lacombe, au sud de la station de métro de la Concorde, entre la voie ferrée et la rivière des Prairies.
Quartier : Laval-des-Rapides, Laval
Ce secteur, autrefois industriel, est aujourd’hui en pleine mutation. Chantiers, projets de condos et parcs côtoient encore les traces d’anciens ateliers et garages, tandis que les transformations récentes intègrent la mobilité et les transports intermodaux (métro, autobus et trains de banlieue). L(’)aval d’un futur s’est emparé de cette transition visible — marquée aussi par la pandémie qui avait ralenti la ville — pour y imaginer d’autres façons d’habiter l’avenir.
Alexandre Bérubé s’intéresse à la façon dont les récits et les plans de travail deviennent des réalités. Il s’intéresse aux objets mobiliers et à la psychologie de leur aménagement.
Frédérique Laliberté utilise une ribambelle de stratégies numériques et artisanales afin d’élargir l’imaginable. En utilisant l’humour et la technologie, ses créations sont engagées dans une direction à la fois allégorique et critique.
Guillaume Pascale s’intéresse à la perception de l’environnement terrestre observé par les environnements numériques. Sa production musicale se compose de flux de données traités par un appareillage et des programmes qu’il a développés lui-même.
— Frédérique LalibertéNous infiltrons, activons, occupons, habitons, racontons le présent épais du secteur de la station intermodale de la Concorde.
Les artistes de L(’)aval d’un futur s’Voir la définition complète dans le lexiqueinfiltrent dans le chantier en dormance, créant des sculptures conçues comme des objets fonctionnels qui rendent le terrain plus habitable. Tables, sièges, caissons protecteurs : leur design s’adapte à des usages quotidiens et au confort des visiteurs. Mais leurs formes évoquent aussi des maquettes architecturales ou des unités modèles de condominiums. Inspirés par ce lieu en transition, les artistes y ont vu les décors possibles d’un récit de science-fiction, entre vestiges d’une civilisation disparue et signes d’une adaptation à venir. Leurs objets et actions suggèrent l’urgence de réinventer nos façons d’habiter et de survivre dans un monde en transformation.
Dans le parc, le soir, Frédérique utilise les sculptures comme mobilier de cuisine pour fabriquer du pain.
Partage d’un pain cuit sur place. La table rouge sert aussi de vitrine : elle contient un nid de guêpes vide trouvé sur le chantier.
Moment de café partagé autour d’une sculpture-table.
Les cubes deviennent supports pour un équipement électronique dédié aux créations sonores.
Des coussins en tissu résistant à l’eau, imprimés à partir de collages d’images de sols et environnements issus de sources numériques (Google Maps, etc.).
Un coussin accueille un nid de guêpes inachevé et abandonné par sa colonie.
Les artistes ont détourné les codes de la signalétique urbaine en produisant bannières, pancartes et sérigraphies, parfois à partir de plans de réaménagement trouvés en ligne. Ils les ont peuplées de slogans absurdes comme « Année 2020 – Le plan La croûte » ou « Future croûte ». La croûte renvoie autant au pain, qui demande patience et préparation, qu’à l’urbanisation, où les couches successives sédimentent les usages. Exposées sur un terrain encore vide, ces affiches mettaient en relief le décalage entre promesses et réalité, allant jusqu’à servir d’abris contre la pluie. Un drapeau noir et blanc, conçu comme l’étendard fictif d’un archipel d’utopie, a été brandi dans un rituel parodique, en contrepoint aux usages officiels.
Tout au long du projet L’aval d’un futur, Guillaume Pascale a recueilli, à l’aide de Voir la définition complète dans le lexiquedispositifs numériques qu’il modifie et programme, des données issues du chantier interrompu. Ces données récoltées in situ — température, vibrations, infimes mouvements de matière — ont servi de matière première à la composition de pièces sonores, transformant l’environnement en matière musicale. Ces pièces, entre paysages sonores et expérimentations ambient, donnaient au site une atmosphère étrange, à la fois familière et décalée. Ancrées dans le présent – car issues de matière captées sur le site – elles invitaient pourtant à une écoute décalée, où le Voir la définition complète dans le lexiquenumérique conférait aux sons une étrangeté presque futuriste. Ainsi, le public était invité à percevoir autrement le lieu, comme si l’on écoutait non pas seulement ce qui s’y passe aujourd’hui, mais l’ombre sonore de ce qu’il pourrait devenir.
Une soirée et trois journées ont animé le chantier en dormance. Les artistes conviaient des intervenant·e·s de disciplines variées — musique expérimentale, art sonore, arts visuels et performatifs, slam, littérature, art et recherche, boulangerie — pour partager leurs observations poétiques et réflexions sur le territoire en mutation. Le public, composé notamment de voisins curieux et de résident·e·s des nouveaux condos, a été invité à participer aux discussions et à vivre le chantier comme un espace où imaginaire, actions artistiques et transformation urbaine se rencontrent.
Tout au long du projet, les artistes ont créé des objets fonctionnels, des installations visuelles et sonores, des performances et des interactions collectives qui ont transformé le chantier en laboratoire de perception et d’imagination. Tables, coussins, affiches, drapeau et compositions sonores ont constitué autant de médiations pour explorer la relation entre le présent, les vestiges du passé et les possibles futurs du lieu.
Le titre L(')aval d'un futur signale une position floue dans le temps. En planification, donner son « aval » à un projet signifie permettre sa réalisation éventuelle ; en terme nautique, « en aval » désigne ce qui vient après un certain point. Le projet joue sur cette double lecture : le futur imaginé par les urbanistes d’hier se retrouve aujourd’hui incarné dans la ville et ses habitants. Que reste-t-il de ces rêves et spéculations ? Quels héritages persistent, quels futurs sont à réinventer ? L’ombre des anciens futurs coexiste avec le présent, et le public est invité à observer, questionner et imaginer la continuité des transformations.
